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Hollandisme et guérinisme, la tenaille infernale du PS 13

Entre l’impopularité de l’exécutif et la nouvelle concurrence de son ancien « patron », Jean-Noël Guérini, la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône et ses militants semblent déboussolés tandis que nombre d’élus jouent la carte de l’alliance avec le toujours président du conseil général. (Article publié dans l’Humanité du 23 février).

Lorsqu’un ancien ministre se déplace à Marseille et organise une rencontre avec les militants, 80 d’entre eux viennent l’écouter. Pas plus. « Et encore, on craignait moins », murmure un jeune cadre local alors que Benoît Hamon – c’est lui, l’ex-membre du gouvernement – débute son intervention qui durera près de trois quarts d’heure, entre considérations de philosophie politique – au demeurant, fort intéressantes – sur la liberté, l’égalité et long plaidoyer pro domo pour l’action du ministre de l’Education qu’il fut. Quand viennent les questions, la redescente est brutale. Sylvie: « On a l’impression que vous avez beaucoup cédé alors qu’à nous, militants, on nous demande de tenir.» Guillaume : « A quoi ça sert de militer au PS quand on n’arrive pas à changer le réel? »

Lorsque Jean-Noël Guérini, ex-membre du PS, président du conseil général, mis en examen à plusieurs reprises dans des affaires impliquant son frère, lance sa campagne pour les élections départementales avec le parti « ni de droite, ni de gauche » qu’il a créé en 2014, « La force du 13 », on trouve dans l’assistance, écoutant avec intérêt, des conseillers généraux socialistes sortants et candidats à leur succession.

Lorsqu’un texte appelle à un accord entre toutes les forces de gauche et la « Force du 13 », vingt-deux signatures de conseiller généraux sortants viennent s’y apposer. Quelques heures plus tard, un vingt-troisième franchit lui aussi le pas. Lors de la présentation de ses vœux à la presse, Guérini se permet même de le moquer : « Il ne devait plus avoir d’encre dans le stylo le jour même ».

Lorsque l’Humanité sollicite Frédéric Vigouroux, le 23e en question, vient cette réponse de son cabinet: « Désolé, mais il ne s’exprimera pas sur ce sujet avant les départementales ». Frédéric Vigouroux est également numéro 2 du PS départemental. Un cadre fédéral tente d’expliquer : « Vous savez, quand vous êtes en campagne, vous vous focalisez sur vos électeurs et vous n’avez pas envie d’apparaître dans la presse sur d’autres sujets. » Surtout, s’ils sont épineux.

Militants déboussolés voire déprimés, élus gênés aux entournures dès que l’on aborde la récurrente question des rapports à Jean-Noël Guérini ou carrément promoteurs d’une alliance : le PS bucco-rhodanien sait-il encore où il habite ?

Ajoutez à ce paysage déjà crevassé, des municipales catastrophiques (onze villes perdues, raclée à Marseille avec la perte de deux mairies de secteur dont l’une au profit du FN), des sénatoriales calamiteuses (seule Samia Ghali est élue) et une fronde antigouvernementale quasi-permanente, alimentée notamment par des élus socialistes dont certains ont quitté leur formation, contre la création d’une métropole. D’où la question : affaibli par le hollandisme, aspiré par le guérinisme, le PS des Bouches-du-Rhône n’est-il pas en voie d’effacement, d’inaction, on n’ose encore écrire : d’impuissance?

Il faut commencer par du numérique. Jean-David Ciot livre le chiffre de 4200 adhérents contre une moyenne de 6000 cartes remises ces dernières années. « On est tombé à l’étiage, reconnaît le secrétaire fédéral. Mais je pensais que ça serait pire, que l’on tomberait à 2000. Nous sommes convalescents suite à la mise en œuvre du contrat de rénovation, de la sortie de la tutelle et de l’échec des municipales à Marseille.» La ville d’Allauch, 20000 habitants, dirigée depuis 1975 par Roland Povinelli revendique, à elle seule, 600 cartes même si la direction fédérale place le curseur à 450… Une bonne vieille « baronnie » à l’ancienne dont le sociologue Philippe Juhem décryptait l’importance dans son article, daté de 2006, «La production notabiliaire du militantisme au Parti socialiste» : «Dans les Bouches-du-Rhône, neuf sections sur 95 réunissaient la moitié des effectifs de la fédération et trois d’entre elles, bénéficiant d’un maire socialiste (Allauch, Berre et Chateauneuf-les-Martigues), dépassaient 1 400 militants lors du Congrès de Dijon (2003, NDLR) – 1 200 au Mans – soit 23,3 % des effectifs de la fédération, alors que ces communes n’accueillaient que 2,8 % des électeurs du département et 3 % des électeurs y ayant voté en faveur de Lionel Jospin.» Le chercheur mettait en lumière « les effets de la maîtrise de l’institution municipale sur les effectifs du parti. » Hors l’«anomalie» Allauch, il y aurait donc environ 3750 adhérents.

Pour Pierre Orsatelli, porte-parole du collectif Renouveau PS 13, il faut diviser le chiffre officiel par deux, pas moins : 2200. 750 à Marseille, 350 à Allauch, et 1100 dans le reste du département, voilà son estimation. A Chateauneuf-les-Martigues, ex-« baronnie» tombée aux mains de l’UMP aux municipales de après plus de 70 ans de gestion socialiste, le trésorier, Marc Lopez, annonce une trentaine de cartes pour 13000 habitants. Lui-même ne cache pas que le moment est «assez dur, assez pénible» pour l’homme «aux valeurs de gauche» qu’il est, face à la politique gouvernementale.

L’impopularité de l’exécutif – pardon, «l’exercice du pouvoir», dans le parler euphémisé des socialistes locaux – frappe même ceux qui se montrent critiques. Ainsi les jeunes socialistes du département accusent également le coup : une cinquantaine d’adhérents contre une centaine. «Pas mal de déceptions sur pas mal de dossiers, on ne va pas se le cacher», reconnaît Fabio Chikhoune, le secrétaire départemental.

Mais s’il n’y avait que ce problème-là, le PS 13 vivrait avec moins de migraines. C’est son ancien «patron» qui lui en cause les plus sévères : Jean-Noël Guérini. Avec sa volonté d’imposer une métropole refusée par 110 des 119 maires du département, le gouvernement lui a offert, sur un plateau, un inespéré rôle de rassembleur. Aux sénatoriales, siphonnant à gauche, braconnant à droite, il a fait élire trois sénateurs : lui-même, le maire des Pennes-Mirabeau ayant quitté le PS et la maire « sans-étiquette », mais de droite, de Meyrargues. Et voilà que celui qui n’a laissé au PS qu’un seul siège de sénateur devient le porte-drapeau de nombre de conseillers généraux PS! Jean-David Ciot se veut, pourtant, ferme : « Il n’y aura pas d’accord avec Force du 13.» Dans la pratique, les choses semblent moins tranchées que les propos du principal responsable fédéral. Jean-Louis Canal, maire de Rousset et membre du bureau fédéral, sera candidat sous la bannière de…  « Force du 13 ». Le sortant Hervé Chérubini préfère l’étiquette de la « majorité départementale ». Le PS ne présentera personne contre eux. D’autres conseillers généraux, dûment investis par le PS, ne font pas mystère de leur fidélité au président du conseil général. « Tous ceux qui ont signé l’appel à se ranger derrière Guérini n’auraient pas dû avoir l’investiture socialiste.  Il n’y a pas d’accord départemental mais il y a un accord canton par canton», estime Pierre Orsatelli qui avait fait acte de candidature pour affronter Jean-Noël Guérini dans son fief du Panier. « Ma candidature a été « escamotée », assure-t-il. Dans ce canton, huit votants ont désigné le candidat PS contre Guérini. » Deux militants presque parfaitement inconnus.

Le 29 janvier, lors de l’inauguration du local de campagne de Guérini, qui fait binôme avec Lisette Narducci, ancienne socialiste membre de la majorité municipale de Jean-Claude Gaudin, plusieurs élus investis par le PS étaient présents. « Je leur ai dit qu’ils avaient fait une erreur d’aller chez Guérini », indique Jean-David Ciot, qui ne semble avoir d’autre pouvoir que celui de la parole. Sylvie Lyons, elle, est allée directement dire leur fait aux impétrants avant de se faire sortir manu militari. La militante a saisi la commission des conflits et commente : « Cette situation résulte aussi du bourbier dans lequel le parti socialiste marseillais refuse de sortir en posant des actes clairs.»

« Le parti est absorbé par la machine ». L’analyse est signée Cesare Mattina, sociologue qui met la dernière main à un ouvrage sur le clientélisme. « Mais le parti demeure important car il donne les investitures», ajoute-t-il. Voir. Christophe Masse a ainsi changé de remplaçante : Geneviève Tranchida en lieu et place de Zina Ghrib, désignée en décembre par les militants. Là encore, aucun « stop » de la rue Montgrand – siège du PS départemental – et silence de la rue Solférino. « Ils pensent –peut-être à raison – que Guérini est le mieux placé, si ce n’est le seul, à pouvoir empêcher la droite de s’emparer du conseil général », livre un observateur. Une « prime » aux sortants que Cesare Mattina décrypte ainsi : «Etant donné la dimension du corps électoral et le taux d’abstention attendu, les candidats de l’institution et leur équipe peuvent presque téléphoner à tous leurs électeurs nécessaires à leur victoire. L’élection cantonale est la plus clientélaire de toutes».

Guérini éventuellement réélu président. Et après ? « Je fais le pari qu’il y aura un après-Guérini. En 2017, il devra choisir entre le Sénat et le Conseil général et il choisira le premier», explique Jean-David Ciot. « Les procès de Guérini se dérouleront en pleine campagne électorale présidentielle… », anticipe Pierre Orsatelli. 2017, ou la conjonction annoncée du déclin du hollandisme et du guérinisme.

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« Moi, Abdallah, 19 ans, Français des cités »

Comment se déroule la vie d’un citoyen de la République dans un quartier de la deuxième ville de France. (Article paru dans l’Humanité du 2 février)

« Vous, les Français ». Le stylo avait arrêté sa course, l’œil s’était levé du carnet pour se poser sur Abdallah (*). « Tu n’es pas Français ? » « Si, mais… », avait-il répondu, entre hésitation et gêne. Ses parents étaient tous deux nés aux Comores mais lui avait bien vu le jour en 1995 à Marseille, ce qui faisait incontestablement de lui un citoyen français. Quelques mois plus tard, la conversation reprend dans un café d’un centre commercial des quartiers nord de Marseille.

Abdallah : « On se sent Français. Aucun doute. Mais on voit une différence. Pour la qualifier, on ne veut pas utiliser le mot « blancs » car il nous paraît raciste. Alors, on dit « Français ». Mais, ça n’est pas péjoratif. On se sent quand même moins Français que ceux qu’on appelle les Français. On a l’impression d’être du mauvais côté, du côté des méchants, de ne pas être aimés, de ne pas vivre là où il faut, d’être stigmatisés. On nous renvoie toujours à quelque chose : « de couleur », « issus de l’immigration », on ne peut jamais être « Français » tout court. Après les événements de Charlie, tout le monde s’est exprimé. Il y a pleins de gens qui parlent de nous ou en notre nom mais jamais on ne nous donne la parole. Pour être jeune de quartier et passer à la télé, il faut être star de cinéma ou joueur de foot. On voit les médias dans le coin lorsqu’il y a des règlements de compte. Ils arrivent et ils repartent. Quand je vois le JT de TF1 qui parle d’un petit village, je me dis qu’ils pourraient passer au centre social de la cité et en parler de la même manière. Moi, les journalistes, je les perçois bien mais les copains pas trop. Ils ont l’impression qu’on veut les piéger. »

Voilà, Abdallah, tu es un jeune de quartier, tu n’es pas acteur ni footeux, tu es bachelier, tu as la parole. Parle-nous de ta vie. Tiens, commence par la police.

« Je suis contrôlé une à deux fois par mois en moyenne. Cela dépend des moments et des lieux. Une fois, dans la cité, alors qu’il y avait pleins de flics après un nouveau règlement de compte, j’ai été contrôlé quatre fois en une journée. »

Comment ça se passe ? « Ils disent que c’est un contrôle de routine ».

Le tutoiement est-il de rigueur ? « Oui, souvent. Parfois, ça se passe bien, parfois non.»

Y a-t-il des dérapages verbaux ? « Oui. » Silence. Abdallah ne poursuit pas. « De quels types ? « Ah, du genre : « ça pue ici », « Va manger des bananes », « Qu’est-ce que tu fais là petit singe ? » Le stylo s’immobilise un instant. Abdallah a évoqué cela, sans modulations dans sa voix, dans son ton, dans son regard. Comme s’il évoquait un élément naturel.

N’a-t-il jamais pensé qu’il fallait aller porter plainte ? « Non. Je suis convaincu que même si on le faisait, ça ne changerait pas grand-chose. On fait avec. On passe outre et on continue.»

L’école ? « L’impression qu’on a, par rapport à ceux qu’on appelle les « Français », c’est qu’on est trop différents. C’est un peu de notre faute aussi. On se sent mieux avec ceux qui nous ressemblent. Le seul truc qui nous rapproche, c’est l’amour. Alors, là, filles et garçons, on ignore les différences. C’est bizarre d’ailleurs parce que c’est le plus difficile, le plus intime. » Et les profs ? « Il y a trois types de profs : ceux qui sont normaux avec nous, ceux qui ont peur de nous, ceux qui te chouchoutent car ils considèrent qu’on est en difficulté. »

Abdallah reprend sur l’école : «En revanche, pour l’orientation, on sent la différence : les « Français » vers les filières générales, nous, vers les filières technologiques. Moi, on m’a orienté vers la filière la moins recherchée. J’ai eu mon bac mais je ne veux pas poursuivre dans la voie du commerce, ça ne m’intéresse pas. Alors, j’ai pris une année pour réfléchir. »

Etre musulman. « Je dirais la même chose que tout à l’heure. On a toujours l’impression d’être du mauvais côté, de faire une faute. Je ne sais pas pourquoi on est obligés de souligner que l’Islam, ce n’est pas ça. La laïcité est un bon concept mal expliqué. Il y a trop d’incompréhensions. Pour moi, la laïcité, c’est le respect de toutes les religions dans le privé. D’autres comprennent que l’on peut vivre sa religion partout. »

La politique. « Je trouve que ça a de l’importance. Je suis inscrit sur les listes électorales. Je suis allé voter aux municipales. Je vais aller voter aux prochaines. Je suis le seul du groupe. On a beaucoup de devoirs alors autant profiter de nos droits (petit sourire). »

Communautarisme. « Mais, on ne l’a quand même pas choisi le communautarisme. Il s’est imposé à nous. On est forcés de vivre ensemble et dans le même temps on est bien ensemble. C’est compliqué. Quand on va en centre-ville, on demande aux copains de venir avec nous, parce qu’on est plus à l’aise à plusieurs. Je ne veux pas vivre toute ma vie dans le quartier. Aucun copain ne le veut. On a l’impression que l’on peut quand même s’en sortir mais que l’on doit faire beaucoup plus que les autres. Je veux m’enrichir de la culture des autres. Je veux du mélange. »

Alors, être Français, Abdallah ? « Au-delà, de la question « être Français », c’est « être moi » qui m’intéresse. Je ne veux pas tomber dans le fait de penser comme tout le monde. Je me refuse de généraliser. J’essaie toujours de dépasser ma première réflexion et d’approfondir. Je le fais à travers l’écriture. Le rap, c’est une façon de l’exprimer, mais sans plus. Mais, ce qui me plaît, c’est l’écriture. » En français ciselé, bien sûr.

(*) Le prénom a été changé

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Bienvenue à MarseilleS, ville fragmentée

 

(Article publié dans l’Humanité du 18 mars 2014)

La deuxième ville de France n’est pas pauvre, elle est inégalitaire. L’échelle des disparités socio-économiques ne cesse même de s’allonger. Encore et toujours. De se territorialiser. Voyage dans les deux pôles de ce monde éclaté.

 

Si la circulation est fluide, vingt minutes suffisent pour effectuer le trajet. En cas de circulation difficile, il faut s’attendre à passer deux fois plus de temps dans sa voiture. Rarement plus. En termes de conditions socio-économiques, ce sont des années-lumières qui séparent La Cadenelle et le Parc Kallisté. Selon une étude très approfondie réalisée par Compas (1), à la demande du Conseil régional PACA, sur les disparités socio-spatiales, le premier est l’IRIS (îlot résidentiel à intérêt statistique, un micro-quartier déterminé par l’INSEE), le plus riche de Marseille. Le second, le plus pauvre. Deux extrémités d’une échelle qui se distend encore et toujours, preuve de ce que le sociologue André Donzel affirme depuis des années : « Marseille n’est pas une ville pauvre, c’est une ville inégalitaire. » Si l’on prend comme témoin l’indice de Gini, Marseille trouverait sa place dans la liste des villes américaines… Cette situation n’est pas pour autant statique. « L’enseignement de l’enquête Compas est le suivant, analyse le géographe Patrick Lacoste : les inégalités continuent de croître et elles continuent de se territorialiser ». Ce qui fait dire à l’économiste Philippe Langevin que « Marseille n’existe pas. Les Anglais qui écrivent le nom de la ville avec un s à la fin ont raison. »

Bienvenue à MarseilleS, donc, « société fondamentalement éclatée » (toujours selon Langevin). Pour illustrer la grande fracture, il suffit de lire les données concernant La Cadenelle, au cœur des quartiers sud, et Kallisté, perdu à l’extrémité des quartiers nord. Sachant que ces deux quartiers ne constituent évidemment pas des « cas isolés ». Félix Pyat (3e), Eglantine-Rosiers (14e), Saint-Paul-Corot ou le Centre Urbain du Merlan (14e), d’un côté, et Estrangin et Roches-Prophète (7e), La Panouse (9e) ou Les Boucles-Périer (8e), de l’autre, présentent les mêmes caractéristiques que les « champions » de leurs catégories respectives.

A La Cadenelle, 2244 habitants, le revenu médian (qui divise la population en deux parties égales) se situe à 3436 euros (par unité de consommation). A Kallisté, 2520 habitants, il est de 538 euros. Concrètement, une famille composée de deux parents et de deux enfants (l’un âgé de 12 ans, l’autre de 16) touche, en moyenne  7900 euros par mois dans un cas, 1237 euros dans l’autre.

Si l’on prend les deux extrêmes de ces deux pôles, cela prend une tournure carrément vertigineuse. A La cadenelle, 10% des habitants gagnent plus de 8311 euros (par unité de consommation toujours, soit 19115 euros par mois, pour notre famille modèle). A Kallisté, 40% de la population touchent moins de 455 euros… Car, évidemment, les taux de pauvreté sont aux antipodes : 73% au nord contre 7% au sud…

D’où viennent ces revenus ? La question est loin d’être anecdotique. La réponse ne l’est pas non plus. Jugez plutôt. Les salaires ne représentent que 38% des revenus de l’IRIS Cadenelle, contre 24% pour les « pensions/retraites/rentes », 23% d’« autres revenus » (patrimoine) et 14% de « bénéfices ». A Kallisté, ce sont les salaires qui s’arrogent la part du lion (61%) devant les prestations sociales (18%) et les « pensions/retraites/rentes » (14,8%).

Conclusion : on gagne plus sa vie en travaillant dans le quartier le plus pauvre (et ce malgré, des taux de chômage stratosphériques) que dans le quartier le plus riche.

Au-delà des chiffres, matière aride qui dessine, à Marseille, une situation incandescente, à quoi ressemblent ces deux quartiers ? Comment y vivent les habitants ?

Commençons par le haut du panier… L’IRIS, en surplomb de Bagatelle, la mairie de secteur et QG de la « Gaudinie », englobe plusieurs résidences mais c’est La Cadenelle qui en constitue la majeure partie. Construite au début des années 70, elle compte une dizaine de bâtiments dont une tour de 18 étages dans un parc de 14 hectares.

Selon la page Facebook, « la Résidence de prestige La Cadenelle à Marseille regroupe 700 appartements, deux piscines, 3 courts de tennis, un service de bus, une sécurité 24 h/ 24h, un parc boisé et décoré, une supérette, un jardin d’enfant, etc. » Ajoutons un coiffeur, un assureur, une conciergerie, quatre agences immobilières… On pourrait ne jamais sortir de La Cadenelle. Mais, pour y entrer, il faut montrer patte blanche. A l’entrée, les panneaux pullulent : « Résidence privée sous vidéosurveillance », « gardes assermentés », « accès interdit aux 2 roues bruyants ». A côté de la barrière, se poste en permanence un garde qui se fend d’un geste à chaque entrant et sortant : un pouce brandi, un signe de la main ou un… salut façon police nationale…

« C’est un ghetto doré mais un ghetto quand même », selon Marie-Françoise Palloix, conseillère municipale communiste de ces quartiers. Un ghetto qui exige d’aligner les zéros sur un chèque pour en devenir l’un des copropriétaires. Actuellement à la vente : un T2 de 73m2 pour 400.000 euros ou un T4 de 117m2 pour 740000 euros. Ajoutez-y les charges pour entretenir ce joyeux environnement: 600 euros par mois pour un T3. Location ? Il vous en coûtera 2000 euros mensuels pour un T3. Pour les petites bourses, avec 500 euros, on se paie un ticket d’entrée pour le paradis du standing ultime. Mais ce sera pour louer une chambre de 15m2. Thierry, locataire de l’une d’entre elles depuis dix ans, nous en raconte l’histoire : « Elles sont situées au 1er et 2e étage de l’immeuble Chambord, la tour de 18 étages. Il y a 20 ans, c’était des chambres de passe qu’avaient achetées les proxénètes du Prado. Aujourd’hui, ce sont des « studios » loués par des personnes seules.» Mais cela ne donne pas droit, pour autant, à tous les services. Thierry reprend : « Un jour, je suis arrivé à la piscine avec une amie. On m’a demandé à quel étage j’habitais. J’ai répondu : le 1er. On m’a dit : vous n’avez pas accès à la piscine… J’ai appris que je ne pouvais pas plus profiter du terrain de tennis.»

Particulièrement dans le quartier le plus riche de Marseille, la distinction sociale est affaire sérieuse. Si l’on élargit le champ afin d’embrasser du regard (ethnologique) les beaux quartiers marseillais, une autre frontière s’y distingue qu’Alain Hayot, sociologue et auteur d’articles sur le sujet au début des années 2000, décrypte pour nous.

La ligne de partage s’effectue entre les « héritiers » et ceux qu’ils appellent les « parvenus ». Les premiers appartiennent à cette vieille bourgeoisie catholique qui a migré du centre vers le sud au 19e siècle, au moment de l’industrialisation galopante du nord de la ville. Ils vivent dans les immeubles anciens de la rue Paradis ou les bastides et villas de la colline du Roucas Blanc. « Ils vivent en réseau et cachent leur fric. Ils mettent leurs enfants à l’Ecole de Provence, vont à la Paroisse de Saint-Giniez, se font soigner à la clinique Monticelli et appartiennent au club de la Pelle (club sportif privé fondé en 1917, NDLR). »

Ils ont affublé quelques nouveaux riches du surnom de « parvenus ». Ces derniers, pieds-noirs parfois de confession israélite, sont arrivés dans les années 60. Ils ont souvent bâti leur statut social dans le commerce. « Ils mettent leurs enfants dans le public, votent PS même si une partie a migré vers la droite. Les héritiers reprochent aux parvenus d’être tape-à-l’œil, avec leurs grosses voitures et parlent des femmes comme des « arbres de Noël ».

Vingt minutes de voiture (ça roule bien, aujourd’hui) et nous voici au Parc Kallisté. Bien entretenu, cela pourrait ressembler à La Cadenelle. Erigé en 1958, l’ensemble compte une tour de 16 étages et huit barres de 4 à 11 étages. Sauf que nous nous trouvons en plein cœur du « far west de l’immobilier », selon la formule du grand géographe marseillais, Marcel Roncayolo : le monde impitoyable des copropriétés dégradées. Les plus pauvres des pauvres atterrissent ici, aux confins de Marseille, derrière l’Hôpital Nord. Le « sas » d’entrée pour les plus damnés de la Terre, c’est souvent le bâtiment H, promis à la destruction mais toujours debout, dont le hall sert de QG aux dealers. Juste en face de cet amas lépreux de béton qui ne saurait être appelé immeuble, s’est construit un lotissement. Sur de petites parcelles, chacun y a fait construire sa maison individuelle. Pour ces « citadins parcellaires » (André Donzel) aux moyens financiers limités (sinon, ils auraient acheté dans un autre endroit), voilà le prix à payer pour l’accession à leur rêve néo-régionaliste : une vue plein pot sur le bâtiment le plus pourri de la cité la plus pauvre de Marseille. Ou comment organiser la frustration et le ressentiment… des deux côtés. « C’est comme si on avait l’Eldorado en face de nous et nous on crève », peste Ahmed Abderremane, habitant de Kallisté et travailleur social.

Lorsqu’il sort de son bâtiment, il laisse derrière lui des appartements insalubres, sans chauffage souvent, aux fenêtres laissant passer le vent au pays du mistral… « Ici, c’est les oubliettes », lâche-t-il. Les « oubliettes » de Marseille, cela donne ça, selon Ahmed: « La plupart des locataires sont des primo-arrivants souvent analphabètes. Ils viennent majoritairement des Comores ou de Mayotte (possession française, NDLR). Ils tombent sur des marchands de sommeil et sont victimes des arnaques : les loyers trop chers, les reports de charges de propriétaires sur les locataires, les états des lieux tronqués. » Dans le vallon au centre de la cité, ce militant originaire des Comores jette un coup d’œil circulaire sur les barres et tours qui forment comme les gradins d’un amphithéâtre. Il conclut notre visite : « Nous sommes dans un quartier privé et on est privés de tout, on est privés de nos droits. Aucune famille ne souhaite rester à Kallisté. Vous connaissez leur rêve à ces familles ? Un HLM ».

(1) http://www.lecompas.fr

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Le Front de gauche investit son espace politique

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(Article publié dans l’Humanité du 14 novembre 2013)                       (Crédit photo: Patrick Gherdoussi)

Avec Jean-Marc Coppola en chef de file, une démarche d’intervention citoyenne, un projet à finaliser au cours de huit débats d’ici la fin de l’année et de premiers sondages prometteurs, la campagne a commencé pour le Front de gauche marseillais.

Un chef de file mais pas de tête de liste, des propositions mais pas de programme complet : le Front de gauche a décidé de ne pas faire comme les autres. C’est ce qu’il a encore revendiqué hier, lors d’une conférence de presse, quelques jours après le lancement officiel de la campagne face à l’Hôtel de Ville, sur une place Bargemon rebaptisée pour l’occasion Place du Forum Citoyen. « Le fil rouge de notre démarche, c’est l’intervention citoyenne », a exposé Audrey Garino, responsable communiste. Après les assises citoyennes organisées en plusieurs étapes ces derniers mois, le projet entre dans une phase plus concrète d’élaboration avec l’organisation, d’ici la fin de l’année, de huit débats dans les huit secteurs de la ville consacrés à huit grands thèmes (emploi, logement, transport, sécurité, école, services publics, démocratie, environnement).

Rappelons qu’à Marseille, le Front de gauche a fait le choix de ce qu’il appelle la « co-construction ». Comprendre : l’élaboration, sans ralliement, d’un projet commun avec des organisations citoyennes. Les discussions se poursuivent notamment avec Le Sursaut, rassemblant des militants écologistes, socialistes et citoyens. En attendant, les partenaires du Front de gauche ont décidé de faire de Jean-Marc Coppola leur chef de file, autre annonce d’une journée marquée par la publication dans le quotidien « Libération » d’un sondage. Il a été réalisé dans les 4e et 5e arrondissements de la ville, considérés comme l’un des deux secteurs (sur les huit que comptent la ville) qui feront la décision en mars prochain. Il donne la liste de gauche gagnante au second tour (47%), grâce à un excellent report des voix de toutes les listes du 1er tour, contre 35% au maire sortant et 18% au FN. Au 1er tour, le PS réaliserait 31%, le Front de gauche 11% et les Verts 5%. Un autre sondage, pas encore rendu public, indique que dans l’autre secteur-bascule (11e et 12e arrondissements), les listes de gauche et de droite arriveraient au coude à coude (38% chacune) avec un FN à 24%. « Beaucoup de Marseillais ont envie de tourner la page de la gestion de Gaudin et, pour autant, ne sont pas satisfaits de l’offre politique du PS », commente Jean-Marc Coppola. « Nous sommes en campagne pour, en effet, faire entendre une autre voix à gauche », abonde Jacques Lerichomme, porte-parole de cinq composantes du Front de gauche.

Une « autre voix », par exemple, sur le « plan d’action » présenté la semaine dernière par Jean-Marc Ayrault. Jean-Marc Coppola propose d’étudier la réaffectation vers d’autres priorités des moyens annoncés. « La priorité, ce n’est pas la gare Saint-Charles mais un technicentre pour le matériel qui fait actuellement défaut. » En revanche, il se félicite que la pression citoyenne ait payé et que l’extension du métro vers l’Hôpital Nord soit enfin mise à l’étude. Le candidat propose également la réalisation d’un contrat entre l’Etat et la Ville. Une « autre voix » également sur quelques pistes, avant-goût du projet : gratuité des transports pour les moins de 26 ans et les séniors, remunicipalisation des parkings. « Nous avons un vrai espace politique à gauche, conclut Jean-Marc Coppola. Et comptez sur nous pour l’investir. »

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Petites leçons d’un sondage

En général, le plus instructif dans les sondages ne fait jamais les gros titres. Il en va ainsi de l’enquête réalisée par l’IFOP et publiée dimanche 8 septembre par le Journal du dimanche.

Restituons d’abord les grandes lignes : Jean-Claude Gaudin est donné vainqueur avec 34% au 1er tour et 40% au second tour. Le FN arriverait en deuxième position lors du 1er tour (25%) et 22% au second tour. La liste PS n’obtiendrait que 21%, un recul de 2 points par rapport à un sondage réalisé en juillet. Le Front de gauche est crédité de 9% et les Verts de 7%.

Par ailleurs, les candidats à la primaire socialiste sont testés auprès des personnes ayant déclaré leur sympathie de gauche. Marie-Arlette Carlotti s’attire leur préférence (25%) devant Samia Ghali (24%), Patrick Mennucci (13%) et Eugène Caselli (10%). Parmi les sympathisants socialistes, quelques variations: Carlotti (33%) devant Ghali (17%), Christophe Masse (14%) et Mennucci (13%).

Ceci posé, quelles « révélations » trouve-t-on dans les « ventilations » du sondage (à lire ici : http://www.ifop.fr/media/poll/2323-1-study_file.pdf) , en posant une borne de prudence liée à l’échantillon (702 personnes) et à la marge d’erreur inhérente ?

– L’importance déterminante du vote senior

C’est une dimension qui est généralement ignorée : si Marseille est une ville jeune, elle est également, par rapport à d’autres métropoles française, une ville où la proportion des plus de 65 ans est la plus forte. Notons que de ce point de vue aussi, Marseille est « polarisée » et que les salariés de 35-50 ans qui forment le socle des grandes villes françaises est ici le « maillon faible » même si ces dernières années, la ville rattrape son retard.

Qu’induit électoralement, cette donnée sociologique ? Pour aller vite : surreprésentation des retraités = plus fort vote de droite. Pour rappel utile : en 2007, lors de la présidentielle, hors « vote senior », Ségolène Royal devançait Nicolas Sarkozy…

Dans le sondage, 37% des retraités disent choisir Gaudin et 31% Ravier, la tête de liste du FN. Cela signifierait que, localement, le parti de Marine Le Pen grignote (plus que cela, même) la droite, Sarkozy ayant, en 2012, maintenu son score de 2007 parmi cette classe d’âge, fidèle parmi les derniers fidèles du sarkozysme… Au second tour, le vote des plus de 65 ans permet à Gaudin de devancer la liste de la gauche alors qu’il est battu dans le reste de la population.

On retrouve cette composante « senior », de manière peut-être plus surprenante encore, dans les résultats concernant la primaire socialiste. Si l’on ne prend en compte que les électeurs de moins de 65 ans, Samia Ghali devance Marie-Arlette Carlotti, largement d’ailleurs parmi les 35-49 ans (36% contre 19%) et les employés (36% à 20%). Ce qui fait la « bascule » pour la ministre ? Les plus de 65 ans : 32% pour « M.A.C », 4% pour la sénatrice et maire des quartiers nord. Le différentiel est tel qu’il faut se demander si une frange de l’électorat de gauche est bien à l’aise avec l’idée d’être représentée par une femme au nom à consonance arabe ! Ou alors anticipent-ils un rejet du reste de l’électorat.

–         Le FN et le vote ouvrier

C’est devenu la tarte à la crème de quelques politologues et éditorialistes : le FN, parti de la classe ouvrière. On ne démontera pas ici et maintenant, en long et en large, la supercherie. Il suffit de se pencher sur les petites lignes du sondage. Précisons qu’aucune donnée sur l’abstention n’est disponible, ce qui relativise ce qui va suivre. Mais tout de même. Au 1er tour, les trois listes de gauche recueillent 43% des ouvriers, la liste Gaudin 36% et celle du FN 21%. Au second tour, la liste unique de la gauche passe à 46%, celle de la droite passe à 41% et celle de l’extrême-droite tombe à 13%. Le FN résiste mieux, en revanche, parmi les employés (31% au 1er tour, 28% au second) même si la gauche arrive en tête (38% contre 34% à Gaudin).

Voilà posées deux petites pierres d’analyse que nous retrouverons, sans aucun doute, au long de notre chemin vers l’élection municipale de mars 2014.

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