Sur le clientélisme…

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Il y a quelque chose dans l’air politique et médiatique qui commence à me piquer au nez. Depuis dimanche soir, encore plus que les jours et semaines précédents, le mot « clientélisme » revient comme une ritournelle, sans que l’on ne sache plus bien de quoi il s’agit.

Mais il ne revient que pour décrire l’attitude d’une candidate, en l’occurrence Samia Ghali, et caractériser de manière exclusive la relation entre élus (une élue, surtout) et la population dans les quartiers nord de Marseille.

Loin de moi l’idée de minimiser l’emprise du clientélisme à Marseille. Il est une plaie. Une gangrène, qui aspire la substance du citoyen pour le transformer en consommateur dépendant. Il ne relève pas du fantasme, ce clientélisme, puisque la justice en a porté un pan à la connaissance du public en condamnant la députée socialiste et ancienne vice-présidente du Conseil régional, Sylvie Andrieux à un an de prison ferme et cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics à des fins clientélistes. Elle a fait appel. Voilà un fait. La justice poursuit également ses enquêtes – dans lesquelles manifestement le clientélisme tient une part de plus en plus mineure face à des faits bien plus graves dans leur qualification juridique – concernant Jean-Noël Guérini, le président du conseil général. Voilà un autre fait.

Pour bien combattre la chose, encore faut-il bien la définir.

Lors de la série d’entretiens réalisé avec quatre des candidats aux primaires (lire ci-dessous), j’avais posé les mêmes questions à tous les candidats (voir plus bas). Parmi lesquelles, celle-ci : « On parle souvent de clientélisme. Quelle est votre définition ? » Patrick Mennucci avait livré la définition, me semble-t-il, la plus structurée et la plus juste : « C’est quand on sollicite ou obtient une prestation, un emploi, un logement en échange non de ses compétences ou de son droit mais du soutien que l’on apporte à la personne qui vous le donne ». Il aurait pu ajouter : « quand on offre »… Mais partons, tout de même, de là.

Lors d’une première déclaration, dimanche à 20h30, Marie-Arlette Carlotti a dénoncé « un fonctionnement à plein régime du clientélisme ». Qu’a donc à offrir Samia Ghali aux électeurs qui sont venus en très grand nombre dans les bureaux de vote des quartiers nord ? En tant que sénatrice, rien, à ma connaissance. En tant que maire d’arrondissements, guère plus, tant la fonction est vide de toute prérogative d’action concrète (logement, crèche). Des promesses-en-cas-de-victoire ? Peut-être. Je n’en ai pas été témoin mais peut-être. Un article de Médiapart a relaté, récemment, les doutes qui pèsent sur l’attribution de subventions du conseil régional au cousin de Samia Ghali pendant que celle-ci était vice-présidente du Conseil régional. Voilà encore un autre fait.

Autre question : en quoi est-ce clientéliste, au sens premier du terme, d’organiser le transport d’électeurs depuis leur domicile vers le bureau de vote ? « Moralement condamnable » ? C’est ce qu’a considéré René Stefanini, le secrétaire général de la Haute autorité des primaires. Mais clientéliste ? (Ma sollicitation auprès de l’équipe de Marie-Arlette Carlotti pour une « explication de texte » est restée sans suite).

La « fièvre civique » dont se moque Olivier Mazerolle dans la Provence, de ce matin, relève-t-elle du communautarisme ? Encore faudrait-il prouver que Samia Ghali a utilisé l’argument « venez voter pour moi parce que je suis arabe comme vous » plutôt que « venez voter pour moi parce que je suis une élue de proximité, je connais vos problèmes » ? Dans l’entre-deux, on peut formuler l’hypothèse qu’elle puisse également dire : « Venez voter pour moi parce que je suis des vôtres ». Des vôtres ? Socialement ? « Ethniquement » ? Je suis issue, comme vous, de ces quartiers ?

En tant que journaliste, j’ai recueilli, à plusieurs reprises, des témoignages de personnes m’affirmant que Samia Ghali jouait de cette corde « communautariste ». Je n’en ai pas été témoin mais je rapporte ici leur existence.

Tout comme j’ai recueilli, à de multiples reprises, des témoignages de personnes ayant vu et entendu Henri Jibrayel, conseiller général et député, dire qu’il allait régler pour la subvention de l’association d’untel, demander à tel autre si sa demande de logement avait bien aboutie comme prévu… Je n’en ai pas été témoin mais je rapporte ici leur existence.

Henri Jibrayel a apporté, dès dimanche soir, son soutien à Patrick Mennucci, héraut proclamé de la lutte anti-clientéliste. Il me semble que le fait a été plutôt remarquablement ignoré par la presse. Dans l’entourage du député arrivé deuxième du premier tour, on fait valoir trois arguments : nous ne refusons pas son soutien mais nous n’en faisons pas un argument (précision apportée samedi 19 octobre: Henri Jibrayel a été de toutes les initiatives publiques de Patrick Mennucci durant l’entre deux tours et une réunion publique a même été organisée dans son « fief » de Sainte-Henri. Difficile de prétendre que l’on n’en fait pas un argument…); il n’y a aucune négociation sur la ligne politique qui reste celle, notamment, de la lutte contre le clientélisme; son ralliement sur cette base engage Jibrayel…

Pour en revenir à Samia Ghali, aux quartiers nord et pour élargir un peu la focale… Peut-on envisager, un moment que, chez ces électeurs des quartiers nord (dans leur grande majorité membres des catégories populaires héritières de l’immigration) qui ont voté dimanche, , le sentiment d’abandon, de relégation, de stigmatisation se transforme en fierté d’exister politiquement, d’être représentés, d’enfin compter pour un ? Que, dans la complexité des mentalités et les difficultés de la vie quotidienne, cela puisse, chez certains, s’accompagner d’un intérêt personnel envisagé ? Que, peut-être, sûrement même, des élus les utilisent comme chair à canon électorale, comme une « clientèle » captive ?

Ce qui est certain, en tout cas, c’est que Marie-Arlette Carlotti a sacrément raison lorsqu’elle dit : « Quand il n’y a pas de politiques publiques cohérentes, égalitaires, pour tous, on remplace par le clientélisme ».  Marseille attend toujours…

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Catégories : Analyse | Un commentaire

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Une réflexion sur “Sur le clientélisme…

  1. Raph

    Je partage l’idée, avec d’autres acteurs et commentateurs, qu’il y a eu un effet Ghali pour cette primaire. Les réseaux ? Quels réseaux ? A partir de 15 000 les Mennucci et Carlotti nous avaient indiqué que ces réseaux ne fonctionneraient pas. 20 000 Marseillais ont voté. Alors que FO territoriaux était acquis à la cause d’Eugène Caselli, rappelez moi son score ? Qu’ont fait les quelques 10 000 syndicalistes encarté FO dimanche ? Et regardons un peu le score dans le 2e, au Panier, le fief du marionnettiste (et grand comédien) Jean-Noël Guérini. C’est sont meilleur ennemi Mennucci qui arrive en tête. Bon Masse n’est pas loin, ok… Les réseaux clientélistes me semble avoir du plomb dans l’aile (mon analyse est peut-être bidon, mais c’est comme cela que ça me vient).

    Autre chose pour terminer. Le clientélisme n’était-il pas un mal nécessaire. Je vous invite à relire la chronique Vive le clientélisme ! dans le mag’ Vmarseille (daté de juillet-août) de la politologue Camille Floderer (spécialiste du sujet surtout en Amérique du Sud, mais Marseillaise). Elle écrit : « Entre le mythe démocratique d’un pouvoir également détenu par tous les citoyens et la réalité, le décalage est certain […] Le clientélisme constitue bel et bien un ressort essentiel du fonctionnement concret de la démocratie. » Camille démontre que le citoyen se désintéresse de la vie politique. Que faire « pour inciter à voter des électeurs qui, par désintérêt ou par incompétence, tendent à rester à l’écart de la chose publique ? » Donc le clientélisme est « un moyen de faire exister un lien entre le politique et certains groupes sociaux, tenus à distance de la sphère politique. » Il ne faut donc pas s’attaquer au clientélisme !!! Il faut redonner envie d’aller voter, sans rien attendre en retour, juste l’intérêt général. Cuicui les petits oiseaux !

    Bravo pour ton blog Christophe !

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