Comme la vérole sur le bas clergé, stéréotypes et clichés s’abattent sur Marseille. Tentative de déconstruction avec cet article publié dans l’Humanité Dimanche du 17 octobre 2013.
La formule fait mouche. « J’ai parfois l’impression que les journalistes parlent de Marseille comme Sarkozy parlait de l’Afrique ». Elle est signée André Donzel, sociologue, l’un des plus fins connaisseurs de Marseille. Il y a deux ans, dans les colonnes de l’Humanité, le cinéaste Robert Guédiguian s’insurgeait : « C’est toujours la mauvaise réputation. C’est toujours l’air de la Calomnie. On disait ça de Marseille il y a deux siècles ou trois ou dix. Parce que c’était une ville frontière et presque hors la frontière. Si on la pousse à la mer, en Méditerranée, cette ville n’est pas en France. Il y a quelque chose qui sent mauvais, toujours, dans cette ville. Il y a quelque chose de la cour des miracles, de populaire, de voyou, de canaille, d’étranger, bien sûr. Donc, cette mauvaise réputation se poursuit. »
L’homme de recherche et l’homme de cinéma disent la même chose : Marseille la ville populaire, insoumise, cosmopolite est perpétuellement affublée des pires stéréotypes. Ceux-ci ne sont pas que le fruit d’une certaine paresse intellectuelle. Ils constituent la pierre angulaire d’un discours de stigmatisation des plus démunis et de repli identitaire.
Alors que la campagne pour les élections municipales commence avec, dimanche 20 octobre, le second tour des primaires socialistes, il semble plus utile que jamais de briser les reins de quelques-unes de ces idées autant reçues que fausses.
« Marseille, ville pauvre »
En effet, 28% des habitants de la deuxième ville de France vivent sous le seuil de pauvreté tandis que la moitié ne sont pas assujettis sur l’impôt. Mais si l’on élargit la focale, on s’aperçoit que cette « ville pauvre » est aussi une « ville de riches ». Après Paris, Neuilly et Lyon, Marseille est la ville de France qui compte le plus de contribuables soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) : en 2010, 6 635 aux dernières nouvelles pour un patrimoine moyen de 1,73 million d’euros. Soit un total de 11,5 milliards.
« Marseille n’est pas une ville pauvre mais une ville inégalitaire », rappelle André Donzel (1). Elle est même la plus inégalitaire des grandes métropoles françaises, si l’on s’en tient à l’instrument de mesure constitué par le coefficient de Gini. Avec 0,436 (pour une moyenne de 0,289 en France), Marseille s’inscrit dans la moyenne… des Etats-Unis et s’avère posséder une structure sociale aussi inégalitaire que celle de Los Angeles. « L’écart continue de se creuser, analyse le chercheur. On est passé de 1 à 10 en 2000 à 1 à 15 aujourd’hui ».
Ce fait apporte un éclairage particulier à la question de l’insécurité. Les grandes métropoles où se déploient les violences sont également les plus inégalitaires : Rio de Janeiro, Johannesburg, Los Angeles.
« Marseille, capitale du crime »
Le traitement médiatique des règlements de compte pourrait laisser penser que Marseille, sous la coupe réglée de bande de trafiquants armés jusqu’aux dents, est à feu et à sang. Il ne s’agit évidemment pas de minorer ou banaliser l’assassinat de jeunes gens mais il faut constater que l’activité criminelle à Marseille est aussi vieille que le développement du port de commerce au milieu du XIXe siècle. Après une baisse dans les années 90 et 2000, le nombre de « règlements de compte entre malfaiteurs » (dénomination officielle de la statistique) retrouve, depuis plusieurs années, ses niveaux des années 80. Pour le reste des catégories statistiques concernant les « homicides et tentatives d’homicides pour voler ou à l’occasion de vols », la deuxième ville de France affiche un taux équivalent à celui de Paris, juste derrière… l’Isère. « Les règlements de compte ne sont pas l’arbre qui cache la forêt, comment le sociologue Laurent Mucchielli, fondateur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux. Mais il y a bien un gros arbre… »
« La délinquance des cités, c’est la source du problème »
Là aussi, la tentation de l’amalgame est sinon tentante, du moins fortement encouragée par certains discours publics. Il semblerait parfois que les « cités » soient les grandes organisatrices du trafic de drogue. Or, elles ne servent que de relais de sous-traitance à un trafic de plus en plus mondialisé. Avec le passage de l’héroïne – la fameuse French Connection des années 50 à 70 – à la vente massive de cannabis, le grand banditisme s’est réorganisé. Il garde la haute main sur l’organisation générale mais a, selon Philipe Pujol, journaliste à La Marseillaise, « sous-traité la partie la plus difficile, la revente au détail ». Les réseaux « des cités » ne sont ainsi que des PME du trafic dépendantes des donneurs d’ordre du grand banditisme. Les règlements de compte indiquent-ils que la manne à se partager enfle ? Au contraire, souligne le journaliste, plus le gâteau est restreint, plus on s’entretue pour une part. Le développement des trafics a-t-il pour conséquence d’irriguer les cités de sommes folles, comme on peut aussi l’entendre ? En revanche, les bailleurs sociaux l’ont constaté : lorsqu’un réseau est démantelé, le nombre de loyers impayés explose le mois suivant.
« Vote FN, vote populaire »
C’est l’un des sophismes à la mode : le FN est fort à Marseille, Marseille est une ville populaire donc le FN est fort dans les quartiers et milieux populaires. Coupons court : à Marseille, le FN réalise ses meilleurs scores dans les quartiers pavillonnaires dans lesquels habitent des couples de salariés moyens, majoritairement propriétaires et dans une moindre mesure, dans les noyaux villageois à la population vieillissante. En revanche, dans les cités populaires des quartiers nord, Marine Le Pen a été systématiquement devancée, lors des présidentielles de 2012, par Jean-Luc Mélenchon.
« Le socle historique du FN en Paca, c’est la petite bourgeoisie (artisans, commerçants, petits chefs d’entreprise) et les rapatriés d’Afrique du Nord. C’est la radicalisation d’une frange de la droite », souligne Joël Gombin, doctorant et auteur d’un mémoire sur le vote FN dans les Bouches-du-Rhône. Encore aujourd’hui, ajoute-t-il, « le vote FN est utilisé comme une manière de voter à droite quand on trouve la droite pas convaincante». A Marseille, le total droite-extrême droite est stable de 2007 (47,5%) à 2012 (47,2%) : Sarkozy perd sept points, soit le gain du FN. Désormais, les scores de l’extrême-droite sont plus importants dans les « banlieues » résidentielles et huppées de Marseille que dans la deuxième ville de France. Lors des élections cantonales de 2011, c’est à Ensués-la-Redonne que le parti des Le Pen a enregistré son meilleur score. Ce havre côtier est également celui qui possède le plus haut revenu moyen de la communauté urbaine de Marseille…
« Le clientélisme, c’est le guérinisme »
La justice tranchera. Le président socialiste du conseil général, Jean-Noël Guérini, a été mis en examen à trois reprises dans une affaire qui mêle trafic d’influence et détournement de fonds publics. Une partie de la campagne des primaires socialistes s’est jouée sur la rupture avec le système clientéliste. Patrick Mennucci, Marie-Arlette Carlotti et Eugène Caselli en ont fait l’un de leurs principaux arguments. La justice a déjà tranché dans un autre dossier : la députée Sylvie Andrieux a été condamnée à trois ans de prison dont un an ferme pour détournement de fonds publics au détriment du conseil régional dont elle était une vice-présidente. L’élue a fait appel.
Pour le député socialiste Patrick Mennucci, le clientélisme, c’est aussi le « gaudinisme ». Il accuse le maire sortant d’avoir établi une « cogestion » de la ville avec le syndicat FO et, dans une lettre à Jean-Claude Mailly, dénonce « l’équipe dirigeante » des territoriaux qui considère les syndiqués comme des « agents électoraux » et dévoie « l’idéal du syndicalisme de la charte d’Amiens ».
Sachant que : Gaston Defferre a fait de FO le syndicat officiel à la mairie ; Sylvie Andrieux est la fille d’un baron du defferisme ; Jean-Noël Guérini est le neveu d’un conseiller général socialiste qui lui a cédé son canton… Question : ne s’agit-il pas plutôt du procès d’un defferisme qui n’en finirait pas d’agonir ?
(1) Auteur de « L’expérience de la Cité » (éditions Anthropos)
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